Search

Synesthéorie

Victor Segalen

Les Synesthésies[1] et l’école symboliste
Mercure de France, 1902.
Extraits : pp. 57-90
  • Titre : Les Synesthésies et l’école symboliste
  • Auteur(s) : Victor Segalen
  • Éditeur : Mercure de France
  • Publication : 1902
  • Lieu d’édition : Paris
  • Chapitre : Les Synesthésies et l’école symboliste
  • Pages : 57-90

« … Comme de longs échos qui de loin se confondent

En une ténébreuse et profonde unité,Vaste comme la nuit et comme la clarté,Les parfums, les couleurs et les sons se répondent… »

Baudelaire, les Fleurs du Mal.

Longtemps, il resta décent, dans le monde scientifique, d’afficher, à l’égard de la correspondance possible des données sensorielles entre elles, un vertueux dédain. Les indulgents s’arrêtaient à l’ignorance bénévole du phénomène. D’aucuns furent plus rigoureux. La doctrine de l’Analogie des sens eut ses apôtres, ses martyrs, et tout récemment son temple.

D’allure vaguement occultiste, exploitée d’ailleurs par les Adeptes, elle partagea le discrédit officiellement attaché à toutes les notions parascientifiques. Nüsbaumer, au début du siècle, encourut, de ce fait, les foudres universitaires : ses recherches en la matière ayant paru peu orthodoxes, et dangereuse la divulgation de pareils faits, Bénédikt, professeur et homme de bon conseil, lui imposa là-dessus silence et discrétion[2].

Les essais continuent, timides et tâtonnants. Il semble que les chercheurs tiennent à se faire pardonner leur audace. Pour n’être pas soupçonnés de crédulité, ils se posent en ironistes. Et les préfixes défiants dont ils enrobent leurs définitions soupçonneuses encore sont curieux à noter :

« Pseudochromesthésie, » dit Chabalier. « Pseudophotesthésie, » affirme Suarez de Mendoza… « Fausses sensations »… « Illusions ». On tenait à ne pas se compromettre.

En réalité, les apparences autorisaient le doute, excusaient l’équivoque.

Les observateurs les mieux intentionnés se heurtaient à une incohérence manifeste, à une impossibilité décevante de dégager de leurs études aucune conclusion tant soit peu générale. Malgré leur bonne volonté, il était difficile de donner droit de cité, en la Science impersonnelle et objective, à des phénomènes dont la subjectivité même est la règle, dont le seul critérium possible est une affirmation, dont la preuve expérimentale est à trouver encore.

Actuellement pourtant, devant l’agrégat d’exemples laborieusement entassés, l’authenticité des faits de synesthésie n’est plus douteuse. Leur état civil est officiellement constitué. Ils ont, ces bâtards de jadis, existence légale auprès des savants : ils sont reconnus.

§

Leur histoire. — Avant d’en arriver là, lentement, aux cours des âges, ils ont pérégriné à travers les cerveaux.

Dès l’époque Védique, les poètes Hindous usaient, à leur choix, de trois ordres d’Expression poétique. De ces ordres, le plus riche était précisément désigné par le vocable « DVANI » (son, répercussion). Cinquante siècles avant nos symbolistes, les corrélations sensorielles avaient trouvé leur application littéraire[3].

Le mot mystérieux et total des Hébreux était « יהוה »[4], IEVE, et ce Verbe unique renfermait toute Science. Or les Initiés attribuaient à chacune de ses lettres une couleur déterminée. L’audition colorée n’avait pas attendu le trop fameux « Sonnet des Voyelles » pour illuminer la Kabbale[5].

Puis, sans arrêt possible à la civilisation Gréco-Latine où la Raison-maîtresse tolérait peu de pareilles subtilités, non plus qu’à notre dix-septième siècle en ce qu’il y eut de palinodie de l’antiquité, nous retrouvons, au dix-huitième, une tentative appliquée du phénomène resté jusque-là spéculation pure. Ce n’est plus un Mage, mais un Jésuite, qui l’exploite. Le P. Castel imagine son « clavecin oculaire » (1759). La théorie du bon Père est bégayante et ses comparaisons doucement puériles : Le Bleu est tonique, dans sa « Gamme des couleurs », parce que noir + blanc égale gris-bleu (?). Le Rouge est la quinte : pas d’explication cette fois. En pratique, c’est un instrument compliqué : cinq cents lampes, soixante verres colorés. Cavailhé-Coll n’ayant pas encore rénové l’art des organiers, le résultat fut déplorable. Mais le doux inventeur avait confiance. « Qui sait, » demande-t-il avec un geste d’emphase, « si le clavecin oculaire ne sera pas mis par la postérité au rang des arts nouveaux qui auront contribué à la Gloire du Siècle où nous vivons ? » L’idée était d’ailleurs pleine de philanthropie : le P. Castel rêvait une musique « à l’usage des sourds »[6].

À défaut des savants, les artistes persévèrent. Goethe (Théorie des sons et des couleurs) ne reste pas indifférent, Gautier (la Presse) retrouve ces corrélations dans l’excitation transitoire du Haschisch, et en note la valeur artistique. Les virtuoses et techniciens de la musique s’y laissent gagner (Joachim Raff, Louis Ehbert). L’audition colorée va chercher à Londres le baptême scientifique (London Medical Record, décembre 1882) et en revient, semble-t-il, définitivement orthodoxe. Ses temps héroïques sont terminés. Suarez de Mendoza lui consacre une consciencieuse monographie. Millet, médecin de marine, y introduit l’élément précis de la statistique. Les thèses se multiplient. Un excellent travail de Destouches met en relief ses adaptations possibles aux choses de l’art.

Nous renvoyons, pour tout détail, aux travaux précédents. Nous essaierons simplement de fixer à grands traits les déductions logiquement acceptables qui font des synesthésies de puissants moyens d’art — mais d’art intime, — de prodigieux outils — mais d’usage rigoureusement personnel, — d’efficaces et bénins excitants aux cerveaux de poètes sommés toujours d’exprimer du Nouveau, de faire œuvre créatrice ; quelque chose, en un mot, comme des forceps figurés, aidant à l’enfantement parfois douloureux de nouveaux Êtres, dans le monde des Idées et des Sensations.

§

Exemples et Théories. — Deux à deux, juxtaposons au hasard les différentes données fournies par nos appareils sensoriels. Interrogeons notre entourage et nous-mêmes. Parcourons les recueils spéciaux.

Le résultat sera de prime abord, pour les non-initiés, inconcevable d’invraisemblance, d’inattendu, de grotesque. Tout ce que peut créer un cerveau délirant en mal de conceptions tératologiques s’y est accumulé. D’où l’attitude défiante commune aux premiers explorateurs de ces contrées de l’esprit à l’atmosphère oppressante et trouble.

Que Rimbaud affirme « l’A » noir ; que Meyerbeer reconnaisse comme « pourpres » certains accords de Weber, cela est encore, aux âmes simples, tolérable. On passe tant de choses aux artistes !… Mais voici où le paradoxe commence : « Pincez une guitare, et aussitôt nous voyons une image colorée qui environne les cordes pincées », affirme un audito-coloriste[7]. — « Le dimanche m’apparaît blanc-gris, » disait Diamondi, calculateur prodige ; « le lundi, marron-clair… » Et la polychromie s’étendait à toute la semaine. Pour d’autres elle envahit le calendrier.

Puis les sensations gustatives s’en mêlent. L’olfaction s’y vient surajouter : « Le kirsch sonne furieusement de la trompette ; le gin et le whisky emportent le palais avec leurs stridents éclats de pistons et de trombones ; l’eau-de-vie fulmine avec les assourdissants vacarmes des tubas. »[8] Enfin, dernier terme, des matérialisations se précisent : un sujet particulièrement doué voit des « prières en forme de canapé[9] » et l’adverbe « où » revêtant les contours d’une carte de France. La Géométrie et les abstractions y abondent elles-mêmes : et pour tel esprit, telle sensation définie revêt l’aspect d’un schème, d’un diagramme toujours identique à lui-même.

Donc, tout est possible, dans le monde des Synesthésies : et jusqu’aux calembours sensoriels les plus imprévus, et jusqu’aux accouplements les plus monstrueux. Or, voici, de ce chaos, les notions générales que l’on peut dégager. Nous nous restreindrons en nos exemples à l’Audition colorée, la plus fouillée, la plus fréquente aussi, des Synesthésies.

Convenons d’appeler « Primaire » la sensation point-de-départ, perçue, objective. Et : « Secondaire », son concomitant, son Écho, la sensation induite.

Leur mécanisme psychologique d’association nous paraît, avec Destouches, afférer aux deux catégories suivantes :

Catégorie A. La sensation secondaire est objectivée, « c’est-à-dire qu’elle possède tous les caractères de vivacité et d’extériorité d’une véritable perception. Elle est projetée et localisée au dehors, comme une hallucination, et se mélange avec les sensations réellement éprouvées au point de ne pouvoir en être séparée[10]. »

En schématisant, nous dirions que la lettre U, par exemple, fait voir vert ; que la tonalité de do majeur fait voir blanc.

Catégorie B. Mais la sensation Écho peut simplement être pensée, n’exister qu’à l’état d’Idéation, et sa relation avec la Primaire est faite d’analogie, plutôt que de réelle évocation. Reprenant le même exemple, nous dirons cette fois que la lettre U fait penser au vert ; que la tonalité de do majeur fait penser au blanc.

Entre ces deux extrêmes, tout degré d’intensité est possible « depuis la vive représentation dont l’énergie rivalise presque avec celle de la perception externe, jusqu’à la vague et insaisissable lueur méritant à peine le nom d’Image, et confinant à l’Idée-pure[11] ».

Jusqu’à présent, rien que d’analytiquement vérifiable par l’observation. Mais voici où commence l’hypothèse. Deux théories, l’une psychique, l’autre physiologique, se disputent la présidence du phénomène :

Pure association d’idées, affirment les uns.

Engrènement des centres, communications ou tout au moins irradiations intercentriques, répondent les autres.

Au fond, les deux explications s’engrènent, elles aussi, et ne s’excluent pas. Mais volontiers nous insisterions sur le rôle capital du retentissement affectif, négligé par l’école associationiste anglaise. Deux images, même foncièrement dissemblables, comme une image visuelle et une image auditive, s’évoquent parce que l’une et l’autre produisent en nous même réaction subjective ; parce qu’elles ont, dirions-nous, le même tonus affectif.

§

Valeur artistique des synesthésies.— Cependant que la science, à tâtons, se risquait en l’étude de ces correspondances subtiles, toute une école en pressentit la fécondité, fit de leur emploi une bonne part de sa matière esthétique et son procédé de choix. Les Naturalistes ayant clamé bien haut leurs droits d’Observateurs, les Symbolistes affirmèrent avec une même énergie la valeur artistique, la force expressive des corrélations sensorielles. Le fameux sonnet de Rimbaud, les Voyelles, fut un peu le décalogue de la nouvelle croyance :

A noir, e blanc, i rouge, u vert, o bleu, voyelles.

Je dirai quelque jour vos naissances latentes…

Et René Ghil en un zèle imprudent se fit le commentateur candide de cette liturgie d’art, de ce Néo-testament.

Or, une fois de plus, l’ironie s’en était mêlée.

Le sonnet de Rimbaud, homme paradoxal, d’ailleurs, s’il en fut[12], était purement apocryphe d’intention et de sens, et ce, de l’aveu de l’auteur lui-même : « À moi, » débute-t-il dans sa « Saison en Enfer » — « à moi l’histoire d’une de mes folies… J’inventai la couleur des voyelles… Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et avec des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible un jour ou l’autre à tous les sens… J’écrivis des silences, des nuits, je notais l’inexprimable, je fixais des Vertiges… »

« Le texte est net », — commente G. Kahn — « le sonnet des voyelles ne contient pas plus une esthétique qu’il n’est une gageure, une gaminerie pour étonner le bourgeois. Rimbaud traversa une phase où, tout altéré de nouveautés poétiques, il chercha dans les indications réunies sur les phénomènes d’audition colorée quelques rudiments d’une science des sonorités. — Il vivait près de Charles Cros, à ce moment hanté de sa photographie des couleurs, et qui put l’orienter vers des recherches de ce genre… Il reste de cette tentative les belles analogies que signalent quelques vers de son sonnet[13]. »

Mais, avant tout manifeste, avant tout art poétique, un profond artiste avait, en Précurseur, usé de la technique nouvelle, merveilleusement. Et bien au-dessus du sonnet plaisant de Rimbaud, les Correspondances de Baudelaire demeurent primordiales et initiatrices des tentatives similaires :

CORRESPONDANCES

La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles ;L’homme y passe, à travers des forêts de symbolesQui l’observent avec des regards familiers.Comme de longs échos qui de loin se confondentEn une ténébreuse et profonde unité,Vaste comme la nuit et comme la clarté,Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,Doux comme le hautbois, verts comme les prairies,— Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l’expansion des choses infiniesComme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.
(Les Fleurs du mal.)

Ce fut vraiment l’initiale impulsion qui, depuis, hanta les disciples. De telles associations s’harmonisaient d’ailleurs nettement avec les tendances symbolistes, et retentissaient en des cerveaux entraînés aux subtilités de la méthode analogique, dont elles partagent la féconde et sereine beauté. Il nous semble, en effet, que des sensations associées se dégage autre chose qu’une plate juxtaposition : la sensation-écho n’est pas seulement évoquée par la primaire, mais, du même coup, fécondée… Il en naît une émotion jeune, vibrante de fraîcheur et d’inattendu renouveau.

Mais l’exagération ne se fit pas attendre. On voulut transporter à la scène, en les compliquant, les procédés restés jusque-là personnels. Le Théâtre d’Art[14] fit choix, comme thème à cette tentative, du « Cantique des Cantiques ». Pour « synthétiser l’ambiance du rêve », les données de l’ouïe, de la vue, de l’odorat étaient également intéressées. — Le programme portait : « Première devise, orchestration du verbe en I, luminé de l’O, orchestration de la musique en ré ; de la couleur : en orangé clair ; du parfum : en violette blanche. » — La partie olfactive de ladite orchestration était pratiquement confiée à des vaporisateurs placés au trou du souffleur.

Le résultat fut décevant. Sarcey, effaré, en poussa les hauts cris.

Autre essai collectif : « Nous avons déjà les arts de la couleur, déclare M. L. Favre[15] (peinture et ses dérivés) et les arts du mouvement (poésie, danse, musique des sons), ne peut-on pas, en empruntant aux arts de la couleur et du mouvement ce qu’ils peuvent donner, produire un art qui joigne les effets esthétiques résultant de ces sources diverses ? »

Hélas ! non. Tout au moins au stade actuel de notre évolution sensorielle. Tout fait de corrélation est uniquement et purement subjectif, exclusivement personnel. Et le seul fait général en est l’impossibilité même de leur généralisation. Certains voient jaune le timbre[16] du cor, bleu celui de la flûte, vert celui du hautbois (Lavignac, la Musique et les musiciens). Pour nous, le cor est nettement pourpre, la flûte opalescente et Gevaert, en son cours d’orchestration, figure le hautbois comme une ligne rouge. Mêmes variations au sujet des couleurs des voyelles. Millet, en un bon mouvement, s’est efforcé, ces données fuyantes, de les réduire en chiffres et de déceler en ce désordre des suffrages, les majorités obtenues par les différentes voyelles… De telles élections restent douteuses ; A est noir, à moins qu’il ne soit blanc, rouge, ou vert… C’est tout ce qu’il est permis d’affirmer.

Le désaccord est donc la règle : les frères Nüsbaumer, tous deux audito-coloristes, et convaincus, ne s’entendaient guère à ce sujet. « Le rouge, qui, pour l’un, s’harmonisait parfaitement avec l’A, donnait à l’autre l’impression d’un « contre-sens », d’une « note fausse »[17]. Là-dessus, disputes répétées. On juge de la bagarre générale qu’amènerait entre gens vifs de telles discordances… C’est peut-être en prévision de mêlées possibles que le sage Bénédikt, déjà cité, déconseillait jusqu’à l’étude même de tels phénomènes.

Bien mieux. Ce n’est plus d’un sujet à l’autre que s’affirme parfois la désharmonie, mais en l’intimité même du même sujet. L’imprécision du phénomène est donc un caractère souvent aussi flagrant que sa subjectivité : demandons à un audito-coloriste une aquarelle-témoin de ses photismes colorés. Puis, mettant l’aquarelle de côté, exigeons du sujet qu’il nous désigne les mêmes couleurs dans un Répertoire chromatique quelconque, celui de Lacouture, par exemple, qui renferme 600 gammes typiques. Résultat : les désignations ne sont concordantes que pour les couleurs, non pour les nuances. « Nous avons noté le même désaccord entre deux peintures d’alphabet coloré faites par une même personne à un an d’intervalle[18]. »

D’aucuns avouent eux-mêmes la fugacité de ces impressions. « Je ne saurais indiquer avec sa nuance la couleur qui correspond à tel son ; l’A prononcé d’une voix aigre dans Montmartre, dans Montagne, n’a pas la même couleur que dans pâtre…, » écrit à M. Binet un autre audito-coloriste.

Les Synesthésies sensorielles ne sauraient donc être d’aucun usage public. La subjectivité, essence de ces phénomènes, en restreint l’emploi au sujet lui-même, rigoureusement, sans évasion possible hors de sa personnalité. Ce ne peut être encore moyen d’art collectif, quelque réduite que l’on suppose l’élite choisie pour y communier, quelque entraînement spécifique qu’ait subi cette élite. La musique des Couleurs, des Parfums, et des Saveurs ne peut exister qu’en tant qu’égoïste et musique intime. Des « Concerts populaires » y seraient déplacés, souverainement.

Néanmoins, de profonds artistes ont su, de ce procédé, illuminer leurs œuvres. Aux sensations brutalement définies ils ont préféré de délicates suggestions berçant le Rêve personnel de chaque auditeur.

Ils ont réduit les rapports à deux sensations, s’en sont tenus au Livre, au lieu de scène ; n’ont pas distribué de programmes. Naturellement l’Ouïe et la Vue, comme les plus éduqués de nos appareils sensoriels, ont été les premiers mis en exploitation. Et voici les résultats.

Quelques titres, d’abord. Le titre, schème et symbole de l’œuvre, en doit révéler ou évoquer l’essence secrète. Or, Stuart Merrill écrit ses Gammes, Jean Moréas ses Cantilènes, Adolphe Retté fait résonner des Cloches dans la nuit, et dans toute l’œuvre du doux Verlaine, mieux que toute musique chantent et bruissent les Romances sans paroles.

Cette surgie de rythmes et de timbres est caractéristique. Le siècle du Roi-Soleil avait vu une poussée d’architectes en arts divers, Boileau comme Le Nôtre… et les jardins de Versailles partagent avec l’Art Poétique un aspect défini :

…correct, ridicule et charmant (Verlaine).

Peintres furent les Romantiques, en leurs truculences à la Delacroix. Mais la Musique, ayant pris son essor en tant qu’expression profonde et poignante de toute humanité, subjugua le symbolisme :

De la musique avant toute chose,

chante Verlaine. Plus loin, il crie éperdument :

De la musique, encore et toujours…

Et l’appel fut entendu. Au polychrome héritage des Romantiques, les Poètes d’aujourd’hui ont mêlé la polyphonie de leurs rythmes plus souples. « … Il suffit, » constate Saint-Pol-Roux, grand-maître lui-même de tels artifices — « il suffit d’ouvrir un livre leur pour que vous giclent au visage les mots, insectes piqués trop vivants qui s’émanciperaient de l’épingle. Et des couleurs variées, comme par une plume trempée çà et là dans l’arc-en-ciel, à telles enseignes que m’étonnent les salons de peinture sans, à la cimaise, telles pages de nos meilleurs écrivains ! Et des parfums ! Et des saveurs ! Écriture dévient orchestration. Griserie prestigieuse ! Ah ! ce n’est pas encore la forme en soi, mais son épure, son lavis, sa maquette, son écho, son odorance, son ombre, le fantôme de cette forme, du moins[19] ! » Et plus loin : « En écriture, de par l’abondance, je procède musiciennement, perchant les mots sur des portées d’orchestration : Voici les cordes et les bois, voilà les cuivres et la batterie. »

Mais chaque compositeur a ses timbres de prédilection : Massenet choie les tonalités chaudes du violoncelle et Reyer les accents empourprés du cor. Chez Saint-Pol-Roux, dont les visions ataviques restent ensoleillées et brutales, magnifiquement[20], et « qui, malgré les mélancolies de l’exil, persiste à rendre du soleil », les cuivres dominent. Son œuvre toute est bien la Fanfare des couleurs. La prime aurore est déjà, pour lui, stridente, personnifiée par des anges « vidant leurs joues, de neiges en des trompettes de soleil[21] » et la nuit noire, c’est

…La Lune, ayant soudain bouché

D’une nuée opaque et couleur de péchéLe hautain pavillon de son cor lucifère…

Mais deux années d’horizons bretons ont nuancé de demi-teintes son orchestration primitive, et enrichi sa composition de timbres plus doux : « Image d’un sou, Couleur de biniou, village, minime village où les cloches ont l’air de dodiner au cou d’une immense chèvre de pierre…[22]. »

Et c’est encore des cuivres qui sonnent aux Gammes de Stuart Merrill :

Que les Espérances écloses

Clament au cœur des clairons rouxDans l’Azur des apothéoses :Gloire aux amants fervents et doux !

…Et des Cuivres, enfin, qu’évoquent les strophes suivantes — métalliques — de notre ami Pierre Richard : l’épigraphe, d’abord,

Tuba mirum spargens sonum,

précédant une description d’Occident embrasé, est déjà une synesthésie. Le premier quatrain précise la corrélation :

Les Cuivres du couchant sonnent un long appel.

Et le métal en feu ruisselant sur le cielCouvre de ses clameurs les chansons éphémèresDu Rêve…

Puis l’Image se transforme et devient Apocalyptique :

Ainsi que le buccin de l’Archange implacable

Évoquera les morts au dernier Jugement,L’Angoisse, dans les cœurs, s’éveille, impitoyableAux sinistres fanfares du soir coruscant…

Mais tout s’estompe et s’éteint en un murmure crépusculaire :

Puis le son devient sombre ainsi que la lumière,

Il vibre plus léger dans la nuit moins amèreEt l’oublieux sommeil, aux Pays IrréelsNous berce en un repos qu’on voudrait éternel.

Ce même instant de la lumière déclinante, un autre de nos amis — André Demelle — l’a vu moins strident : non plus de cuivre, mais d’airain :

… La mer — fondant ce vert qu’on dirait vénitien,

Et, le soleil couché, s’assombrissant — devientUne cloche de bronze infinie — et qui tonne.

(Symphonie Glauque.)

Les sensations auditives ne sont pas seulement évocatrices de visions colorées, mais aussi de Formes, Figures, Schèmes géométriques dont la couleur peut être totalement absente[23]. De tels Photismes[24] sont aujourd’hui parfaitement démontrés, et dans leur étude on voudrait faire intervenir la notion quelque peu nébuleuse de « volume » du son[25] : Bleuhler et Lehman ont reconnu que les sons élevés évoquaient souvent chez leurs sujets une suite d’angles aigus. Les sons graves se voyaient plus obtus, émoussés, devenus arcs de cercle et courbes géométriques. Tout cela ne pourrait sembler que matériaux d’ingénieurs, non de poètes, éléments de sérieuse maçonnerie et non de littérature.

Or, voici ce qu’en a pu tirer le très subtil ouvrier d’art et orfèvre qu’est J.-K. Huysmans :

« Un chant lent, désolé, montait, le « De Profundis ». Des gerbes de voix filaient sous les voûtes, fusaient avec les sons presque verts des harmonicas, avec les timbres pointus des cristaux qu’on brise.

» Appuyées sur le grondement continu de l’orgue, étayées par des basses si creuses qu’elles semblaient comme descendues en elles-mêmes, comme souterraines, elles jaillissaient, scandant le verset.

» Et après une pause, l’orgue, assisté de deux contre-basses, mugissait, emportant dans son torrent toutes les voix, les barytons, les ténors et les basses, ne servant plus seulement alors de gaines aux lames aiguës des gosses, mais sonnant découvertes, donnant à pleines gorges, et l’élan des petits soprani les perçait quand même, les traversait, pareil à une flèche de cristal, d’un trait… Et soudain, à la fin du psaume, les voix enfantines se déchiraient en un cri douloureux de soie, en un sanglot affilé, tremblant sur le mot « eis » qui restait suspendu dans le vide…

» Ces voix claires et acérées mettaient, dans la ténèbre du chant, des blancheurs d’aube…[26]. »

Puis il poursuit, magnifiant le plain-chant dont l’accord mélodique avec l’architecture médiévale est si rigoureux, et qui, pour lui, parfois « se courbe ainsi que les sombres arceaux romans », parfois « surgit ténébreux et pensif, tels que les pleins-cintres,… le « De Profundis » par exemple « s’incurve semblable à ces grands arcs qui forment l’ossature enfumée des voûtes ; il est lent et nocturne comme eux ; il ne se tend que dans l’obscurité, ne se meut que dans la pénombre marrie des cryptes. »

Et c’est encore des formes oppressantes d’arcs surbaissés qu’évoque le « Dies iræ », l’hymne désespéré du Moyen-Âge, formé « des alluvions douloureuses des temps ».

« Une basse profonde, voûtée, comme issue des caveaux de l’Église, soulignait l’horreur des prophéties, aggravait la stupeur des menaces. »

De la sécheresse des droites et des courbes, des diagrammes et des abstractions de l’Espace, voilà donc issue une procession d’images neuves, une série tenue, ordonnée, cohérente de Figures littéraires qui n’ont pas, comme seule raison d’être, leur beauté et leur nouveauté, mais répondent à des modes réels de Pensers associés.

Renversons maintenant les termes. De l’Audition colorée, passons à l’évocation, par la couleur, de la sensation auditive. Le phénomène est plus rare, et plus rare aussi son emploi artistique. Léo Delibes en usa finement dans l’orchestration de Lakmé, où les deux flûtes, à l’unisson, soulignent, en l’arpège suraigu d’un accord de septième diminuée, l’évocation de la lueur acérée d’un poignard[27]. Du même ordre d’idée, d’ailleurs, tout rythme imitatif : la Chevauchée des Walküres, la Forge de Siegfried, la descente persistante des basses au Déclin des Dieux, le long « glissando » des harpes accompagnant, dans Parsifal, la trajectoire sifflante de la lance décochée par Klingsor.

Et nous dirions, plus synthétiquement encore, que le leit-motif lui-même, ce puissant moyen d’expression musicale soupçonné déjà de Glück, et sommé par Wagner d’exprimer l’inexprimable, peut, en fin de compte, se définir : une synesthésie où l’un des termes sensoriels serait remplacé par un terme abstrait, un personnage, un fait, un principe… jouant le rôle, pour l’auteur, de sensation primaire. Quant à la secondaire, elle n’est autre que le contour musical lui-même qui figure ce personnage, ce principe, ce fait. Le leit-motif est une « Personnification ».

Mais les deux termes peuvent rester exclusivement littéraires « … M’arriva-t-il pas, » dit subtilement Saint-Pol-Roux, « d’offrir le bras à une strophe d’Henri de Régnier, de courtiser une phrase de Griffin, d’adorer une prose de Mallarmé, de baiser une maxime de Mæterlinck, de grappiller une chanson de Kahn, de boire un sonnet de Verlaine, de sabler une litanie de Remy de Gourmont, de manger un croquis de Hüysmans[28]. »

Les sensations de l’odorat, pour certains si évocatrices de souvenirs, sont, en l’espèce humaine, trop obtuses encore, et insuffisamment affinées pour être vraiment objet de précises relations[29]. Assez vaguement, G. de Maupassant écrit : « Je ne savais vraiment si je respirais de la musique ou si j’entendais des parfums, ou si je dormais dans les étoiles. » Hoffmann spécifiait davantage : « Le parfum de l’œillet rouge foncé agit sur moi avec une puissance extraordinaire et magique. Je tombe involontairement dans un état de rêve, et j’entends alors comme dans un grand éloignement les sons d’un cor s’enfiler et s’affaiblir tour à tour. » Mais l’« Olfaction sonore » attend encore son virtuose. La « Gustation auditive », en revanche, eut son technicien et son exécutant en la personne de Des Esseintes[30]. Quel facteur d’instrument de musique se chargera de réaliser le subtil « Orgue à bouche » que lui composa Hüysmans en même temps qu’un « traité d’Harmonie ou de Contre point gustatif, » où « la bénédictine figure, pour ainsi dire, le ton mineur de ce ton majeur des alcools que les Partitions commerciales désignent sous le signe de chartreuse verte » ? Et quel Guide Joanne, en un tirage spécial pour « Oculo-Gustatifs », notera les impressions sapides de nos grands Réseaux, comme très spirituellement Saint-Pol-Roux le fit pour le rapide Paris-Marseille… parachevant le dîner pantagruélique de son « Œil Goinfre » par « la tasse de café des tunnels — que suit le « cognac brusque du vif soleil tout à coup reparu[31] ».

Moins susceptibles encore d’emploi littéraire sont les manifestations inférieures de notre sensorium — tact, électro-esthésie, sensibilité musculaire — dont les organes réceptifs, les neurones périphériques, sont encore bien peu spécialisés. À noter, pourtant, la « symphonie de petites sensations douces » que l’intoxication aiguë de l’opium permet de se jouer sur toute la surface du tégument. Mais la sensibilité colorée dont le Dr Le Dantec s’est fait le champion scientifique[32] n’a jamais été, croyons-nous, matière à tentative d’art appliqué.

Jusqu’ici nous avons supposé que le second terme de nos correspondances est forcément une Image. Mais ce terme peut s’abstraire, quitter le domaine des sens, et, par une sorte d’intime lévitation, devenir Sentiment. Et la science, subtile et précieuse, de ces Analogies d’un rang supérieur est la Symbolique. Le symbole, c’est la substitution, au terme Primaire, de l’élément évoqué par ce terme. Le leit-motif est un symbole spécialisé.

Le terme Primaire peut être sous-entendu. C’est la forme courante et concise, obscure aussi parfois à force de subjectivité. Mais souvent les deux éléments sont exprimés : Ainsi, tout au long des « Oraisons Mauvaises » — sorte de Chemin de Croix délicieux et pervers dont chaque station procède d’une Gemme — se déroulent, clôturant les stances, de subtiles analogies de sentiments. Les images lapidaires — issues elles-mêmes de visions charnelles — engendrent chacune un symbole mystique scrupuleusement adéquat à leurs légendes, leurs reflets, leurs « personnalités cristallines ».

Que tes mains soient bénies, car elles sont impures !

Elles ont des péchés secrets à toutes les jointures ;Lys d’épouvante, leurs Ongles blancs font penser sous la lampeÀ des hosties volées dans l’ombre blanche, sous la Lampe,Et l’opale prisonnière qui se meurt à ton doigt,C’est le dernier soupir de Jésus sur la croix.

Ainsi l’Opale, la triste et dolente Opale, est évocatrice d’agonie… Pour le Saphir, ce

… douloureux saphir d’amertume et d’effroi,

C’est le dernier regard de Jésus sur la croix.

L’Hyacinthe, plus tendre

… avec un air triste de roi,

C’est le dernier amour de Jésus sur la croix.

La Topaze, frissonnante,

C’est le dernier désir de Jésus sur la Croix.

… Et ce rubis cruel tout sanglant et tout froid,C’est la dernière blessure de Jésus sur la croix.

Enfin, l’Améthyste, lugubre et endeuillée :

C’est le dernier frisson de Jésus sur la croix.

Puis, la symbolique Procession s’étant liturgiquement déroulée à travers la triple correspondance des Visions charnelles — des Pierres Précieuses — et des ultimes sursauts du Christ, atteint enfin le Monde des Idées :

Que ton âme soit bénie, car elle est corrompue !

Fière émeraude tombée sur le pavé des rues,Son orgueil s’est mêlé aux odeurs de la boue,Et je viens d’écraser dans la glorieuse boue,Sur le pavé des rues, qui est un chemin de croix,La dernière pensée de Jésus sur la croix[33].

Tous ces exemples supposent forcément deux termes : le poète, créateur de l’Association, et son lecteur en lequel cette dernière peut trouver, ou non, sa répercussion. C’est encore trop d’extériorisation pour d’aussi personnels états d’esprit. Voici maintenant des cas rigoureux où leur emploi reste subjectif, scrupuleusement.

Ils peuvent être, tout d’abord, objet de contrôle d’un sens à l’autre : un baryton audito-coloriste cité par M. Grüber avait recours à ses chromatismes pour distinguer les nuances les plus fines de sa voix[34]. Ils peuvent être moyens mnémotechniques : tel musicien colorant les tonalités peut suppléer par des souvenirs visuels à l’insuffisance de sa mémoire technique.

Mais surtout, il est permis, en ces Analogies, de voir de féconds et puissants moyens d’Excitation cérébrale. Chaque artiste a son aiguillon préféré dont il hâte, aux heures de veulerie cérébrale, la marche assoupie des idées, dont il suscite, aux moments d’obscurité intellectuelle, la flamme inspiratrice : la nicotine, l’alcool, l’excitant de lumières éblouissantes, la caféine, l’opium, le haschisch ont leurs adeptes intéressés, implorant de leur usage systématique un ressaut de mentalité.

Au même rang que ces poisons de l’Esprit, mais incomparables d’innocuité, se placent les synesthésies esthétiques — Véritables Alcaloïdes de la chimie des idées, huiles essentielles et efficaces, tonifiantes, à la fois épices et aliments dynamiques.

Déjà, aux premières années du siècle, Salomon Landolt, magistrat, peintre et musicien, faisait cet aveu que, du fait de ses relations chromatiques « d’agréables dispositions du coloris lui étaient grandement facilitées[35] ». Fournoy connaît un peintre doué d’audition colorée qui, à bout d’idées, prend son violon « et trouve dans les sons de cet instrument les teintes et les nuances que réclame son tableau ».

En les pages précédemment citées de En Route, les Photismes géométriques servaient à J.-K. Hüysmans de charpente pour dresser un édifice cohérent d’images architectoniques. La coloration des tonalités musicales peut être d’un usage analogue en composition. Les auteurs qui en bénéficient ont double source d’inspiration. Puis, une fois née l’idée harmonique, c’est, il nous semble, un précieux appui pour lui donner la tenue, le sens, la cohérence exigées des œuvres modernes[36].

§

Les Synesthésies ne sont pas Symptômes de Dégénérescence, mais de Progrès. — Les procédés synesthésiques étant ainsi posés en initiateurs de toute une École, le Symbolisme ; de tout un mouvement, le Wagnérisme et la musique « Expressive », il était indiqué, pour M. Max Nordau, de leur étendre son réquisitoire, ses accusations contre la santé des œuvres modernes. C’était pour lui morceau de roi. Car, en faire palper la morbidesse, les convaincre de tares, les cataloguer sans appel en son répertoire général des Dégénérescences, c’était, du même coup, signer le billet d’hôpital, voire même d’asile, de tous leurs protagonistes.

Il n’y manqua point. Sa théorie « atavique » de l’audition colorée est parmi les moins flatteuses. Ayant rappelé et remis à sa place le sonnet fantaisiste de Rimbaud, et sévèrement apprécié le zèle intempestif de René Ghil et Francis Poictevin, il remonte d’un bond aux états d’âmes préhistoriques, aux modes de sentir antédiluviens, et jette un coup d’œil sur la psychologie des Mollusques : — la Pholade, par exemple, possède pour tout appareil sensoriel un siphon, mais un siphon remarquablement doué, « sensible à toutes les impressions extérieures, lumière, bruit, contact, odeurs »[37]. L’animal en question « voit donc, entend, sent, flaire avec cette seule partie du corps ; son siphon lui sert à la fois d’œil, d’oreille, de nez, de doigts[38]. » Ce fut pour lui, le premier stade du sensorium humain. Au cours de l’évolution, chaque sens s’étant, de ce magma, différencié, ainsi fut constitué chacun de nos appareils sensoriels. Or, affirme un peu lourdement M. Nordau, les Symbolistes « prétendent percevoir des rapports mystérieux entre les couleurs et les sensations des autres sens, avec cette différence qu’ils entendent les couleurs, alors que lui (Baudelaire) les sentait, ou, si l’on aime mieux, qu’ils ont un œil dans l’oreille [!] tandis que lui voyait avec le nez (sic) ».

Ce que lui, Baudelaire, exprime délicieusement :

Ô métamorphose mystique

De tous mes sens fondus en un !…

{Les Fleurs du mal.)

Et de ce parallèle peu respectueux entre symbolistes et mollusques découle, pour M. Max Nordau, une parenté physiologique manifeste. L’impressionnisme poétique « ramène, conclut-il, le penser humain à ses débuts zoologiques, et l’activité artistique de sa haute différenciation actuelle, à l’état embryonnaire dans lequel tous les arts, qui plus tard devaient diverger, étaient encore confondus, pêle-mêle, non développés…[39] ». Et ailleurs encore :

« Ramener le mot lourd d’idées au son émotionnel, c’est vouloir renoncer à tous les résultats de l’évolution organique, et rabaisser l’homme, heureux de posséder le langage, au rang du grillon qui grésillonne, ou de la grenouille qui coasse… »

— « C’est rétrograder aux débuts du développement organique. C’est retomber, de la hauteur de la perfection humaine au bas niveau de la Pholade, et proclamer comme un progrès le retour de la conscience humaine à celle d’une huître[40]. »

Or, ce retour atavique est précisément pour M. Max Nordau une « particularité de la dégénérescence ». Le voilà fixé sur les symbolistes et le « cas Wagner », comme disait Nietzsche ; une fois de plus, il peut clamer prophétiquement : dégénérescence des dégénérescences, et tout est dégénérescence !…

Nous devons nous demander ce que répond l’impartial examen des faits acquis — d’une part — des notions de biologie évolutive — de l’autre.

Il ne semble pas, tout d’abord, que les observateurs aient été frappés par l’allure morbide des faits de synesthésie. Le Dr Breton constate l’audition colorée chez une « femme de 24 ans, bien portante, intelligente, ne présentant aucune tare[41] ». « Dans les diverses observations que nous signalerons, affirme Destouches[42] — l’état névropathique des sujets a été soigneusement noté. Tous, ou presque tous, ne présentaient aucune anomalie, soit dans l’appareil visuel, soit du côté de l’idéation. » La sensibilité colorée, recherchée jusqu’ici chez des Hystériques, « peut-elle exister normalement en dehors de tout état pathologique ? Nous en sommes convaincus — répond le Dr Le Dantec[43] — sans pouvoir cependant apporter une preuve probante à notre assertion. »

Certes, il est possible de les observer, ces phénomènes, coïncidant avec d’avérées déchéances : « Un malade de Legrain s’attachait à connaître le bien du mal par la distinction des couleurs, en remontant du blanc au noir…[44] ». « Et il est certain que cette faculté gagne notablement en vivacité dans les moments de fatigue, d’énervement, d’émotivité… » — « Il va sans dire, écrit Flournoy, que conclure de là à la nature pathologique de l’audition colorée aurait la même valeur que traiter la mémoire ou l’association des Idées de phénomènes maladifs, parce qu’elles sont souvent surexcitées ou accélérées dans le délire de la fièvre ou de l’aliénation mentale[45]. »

Le haschisch peut également les provoquer, extemporanément. Mais l’idéation du haschisché n’est pas détraquée, seulement « emballée ».

Enfin, il ne semble pas que les synesthésies réclament, pour se produire, un cerveau particulièrement affiné, ni un mécanisme délicat jusqu’à la morbidesse. Elles n’excluent pas un équilibre honorable, une bourgeoisie des facultés de l’esprit. Lemaître, dont l’enquête porte sur 4 classes du collège de Genève, les trouve « plus fréquentes qu’on ne pourrait le supposer » chez des garçons de 13 à 14 ans. Il ne paraît pas avoir noté, parmi eux, beaucoup d’enfants prodiges. La corrélation sensorielle peut être l’apanage des simples, des médiocres, en dépouillant ce vocable du sens péjoratif habituel.

Il est, au fond, très illusoire et factice de vouloir englober, sous une même rubrique indulgente ou impitoyable, une telle hétérogénéité de phénomènes. Toute synesthésie normale et saine tant qu’elle reste dans la sphère intellectuelle (catégorie A), pourra, chez le même sujet, devenir symptomatique de troubles mentaux si elle se transforme en hallucination, obsession (catégorie B). C’est une question de degré, de juste mesure. Puis, d’une synesthésie à une autre, la valeur séméiologique, l’équivalent morbide varie considérablement. Si l’audition colorée est, nous l’affirmons, compatible avec la plus saine mentalité, la réciproque, au moins à l’état extériorisé, est plus inquiétante : les illusions et hallucinations visuelles sont relativement bénignes. Mais les hallucinations auditives annoncent des troubles sérieux. Nous devons d’ailleurs reconnaître qu’elles sont, parmi les synesthésies, d’une rassurante rareté.

C’est l’argument clinique et statistique que l’on doit, en premier lieu, opposer à M. Max Nordau. Mais il a porté la question sur le terrain de la haute biologie. Nous pouvons l’y suivre.

« Le développement naturel va toujours, de l’Unité à la diversité, énonce-t-il, et non au rebours. Le progrès consiste dans la différenciation et non dans le retour des êtres différenciés et d’une riche originalité à une archaïque gélatine sans physionomie…[46] »

M. Max Nordau confond, semble-t-il, le chaos sensoriel qui précéda le développement des appareils perceptifs avec la tendance synthétique qui en est l’aboutissant actuel. Certes, avant de la tenter, cette synthèse, il était nécessaire de prendre conscience de ses éléments. Puis, les ayant spécialisés, il était permis de les fusionner à nouveau, non plus, cette fois, en un pêle-mêle chaotique — cette « gélatine sans physionomie dont il nous parle », mais en une ordonnance consciente, sans pour cela être taxé de régressif, ni supposé réduit aux états d’âme d’un mollusque, même possesseur du fameux siphon. Les corrélations sensorielles ont, en la complexité de leur nature, quelque morbidité. — Mais, en leur essence, elles nous semblent, nous le répétons, normales, et adéquates à l’éternelle Procession des Idées, à cette grande loi qui fait succéder l’Analyse au chaos, la Synthèse à l’analyse.

Cette formule est celle de toute science : la Physique et la Chimie ne furent d’abord que Métaphysique et Alchimie, amas ténébreux de systèmes généraux… puis l’Analyse en vint illuminer la marche : la grande triade des Scheele, Lavoisier, Priestley commença la dissociation des éléments. Et ceux-ci, de nos jours, se rapprochent et refusionnent aux tendances unitaires de la chimie moderne, cependant que les forces révèlent leurs équivalences et leurs infinies transmutations (Jouve, Maxwell). Tout cela est progrès, certes, et n’a rien de commun avec les dissertations simplistes des premiers physiciens et des vieux hermétistes.

C’est enfin l’allure même du mouvement philosophique actuel : Passer du « même à l’autre », (Hégel) relier par une dialectique rationnelle les diversités du monde sensible, s’approcher ainsi du terme dernier de la connaissance qui doit être une Hétérogénéité cohérente (Spencer).

D’ailleurs, suivie jusqu’au bout, l’argumentation de M. Max Nordau ne tendrait rien moins qu’à convaincre des pires dégénérescences l’Antiquité classique elle-même. Le fait serait pénible au conservateur respectueux des traditions Hellènes. Car elles nous léguèrent, ces traditions, sous forme de technique naturelle et fatale des Belles-Lettres, cette imposante cohorte des « Figures de Style » pieusement divisées, étiquetées, par les rhéteurs et les didactiques.

L’emploi analogue des Synesthésies comme moyen d’animer, d’illuminer çà et là cette mécanique souvent poncive et froide dite « le style » nous paraît pouvoir s’en réclamer. C’est un Trope nouveau, insoupçonné des premiers grammairiens, rendu possible par le progressif affinage des données sensorielles. Nous les placerions volontiers sous l’épithète, grammaticale cette fois, de synesthésie, à l’issue des Figures de mots, aux environs de la métonymie.

Le parallèle grammatical est aisé à poursuivre. Le Trope « synesthésie-figure » peut se définir : « manière de parler plus vive, destinée soit à rendre sensible l’idée au moyen d’une image, d’une comparaison, soit à frapper davantage l’attention par sa justesse ou son originalité. » Ce qui, en matière de rhétorique, est une définition parfaitement orthodoxe.

Or, ayant conclu à la beauté et à la réalité Figurale de la synesthésie, il serait piquant de s’approprier les procédés agressifs de M. Max Nordau à l’endroit des corrélations sensorielles, chères aux symbolistes et décadents ; de les étendre, ces procédés, en toute rigueur, aux figures de style honorées des Gréco-Latins ; de montrer comment, à chacun de leurs termes correspond, en pathologie mentale, une donnée morbide, une tare, un symptôme de déchéance ; de dresser, à côté des listes pompeuses héritées des archaïques grammairiens, un état symétrique de leurs Équivalents Morbides.

La démonstration par l’absurde a parfois son utilité. Nous dirions alors :

À la Prosopopée, à l’Apostrophe, par lesquelles on prête vie aux absents, aux morts, aux êtres inanimés, répond, en le monde des « Idées-malades », les Hallucinations visuelles et auditives, les « personnifications de toutes sortes ».

L’Onomatopée n’est pas d’une signification atavique moins redoutable. La régression est flagrante : « L’onomatopée commença la parole et l’hiéroglyphe l’écriture, » dit Fée (Larousse). Les voix d’une foule d’animaux étaient exprimées en latin[47] par des Onomatopées distinctives qui nous manquent absolument. Ce n’est plus au phonétisme d’une huître que nous revenons, dirait cette fois M. Nordau, puisque le siphon récepteur déjà nommé est incapable d’émettre des sons, mais à la psychologie du « grillon qui grésillonne ou de la grenouille qui coasse ». Ce n’est pas beaucoup plus rassurant. Virgile n’a pas compris de quelle rétrocession atavique il faisait preuve en écrivant :

Quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campum.

D’ailleurs l’Énéide renfermerait, à ce tarif, bien d’autres stigmates :

Des Obsessions, des Idées-fixes, ont souvent pour prétexte la figure de mots dite « Répétition » :

Me, me, adsum qui feci…

Le germe pathogène venait d’ailleurs de Cicéron :

Qui est l’auteur de cette loi ? — Rullus. — Qui a privé des suffrages la plus grande partie du peuple Romain ? — Rullus. — Qui a présidé les comices ? Rullus.

Les Amnésies sont flagrantes, sous couvert de Réticences :

Quos ego…

rugit Neptune. — Et ne trouvant sans doute pas le terme, il change prudemment le cours de la conversation.

Démosthène, haranguant des cadavres — les Grecs morts à Marathon — Socrate, par la bouche de Platon évoquant les Lois, — Cicéron interpellant la République (1re Catilinaire). — Lucain peignant la Patrie, femme éplorée aux cheveux ruisselants (la Pharsale), ont donc fait œuvre de tarés, d’hystériques, de déments. Il est des folies gémellaires : et nous avons la « Prosopopée à deux », le Dialogisme.

La Métaphore, en laquelle le mot est détourné de son sens primitif simule à merveille certaines Paraphasies. « Quel est cet objet ? » demandons-nous, en désignant un verre, par exemple, à un malade du service du Dr Pitres. — « C’est une serrure, » nous répondait avec confiance le pauvre homme, qui, aux temps héroïques de l’art oratoire, n’aurait été taxé que d’excessif en ses métaphores. Mais en la salle de clinique, c’était un paraphasique : Vérité en deçà de la grille de l’Hôpital…

Pourtant, la métaphore, est « un des plus puissants instruments du langage humain », dit Max Müller. — « La Métaphore a été le trait caractéristique de toute une période dans l’histoire primitive du langage, période mythique », à tendance homonymique, où les racines étaient peu nombreuses et possédaient en revanche de nombreuses significations. Ces quelques racines à sens multiples correspondent, ce nous semble, au siphon de la Pholade, siphon unique et pourtant « nombreux ». Et M. Max Nordau lui-même n’hésiterait pas à rapprocher cette période mythique du stade de l’évolution sensorielle dit par lui « gélatineux ». Mais alors, user de métaphores en notre ère aux vocables multiples et différenciés, c’est régresser et dégénérer ? Pourtant, il est impossible de s’en épurer : « Sous le microscope de l’Étymologie, presque chaque mot laisse apercevoir des traces de sa première conception métaphorique[48]. »

Alors, ne plus parler ?… ne plus penser ?… Que conseillerait M. Max Nordau aux timorés du recul ?

§

Imperturbable pourtant, et forte de sa sincérité, la Synesthésie-Figure poursuit sa marche et marque un stade en littérature, comme la Synesthésie-Sensation précise une époque de notre évolution sensorielle. Encore éparses et d’allure aberrante en les cerveaux, pourtant nombreux déjà, qui peuvent en témoigner, elles semblent en progrès, se coordonnent, se situent comme Fonctions nouvelles de la mentalité.

Sans en augurer encore d’insoupçonnées jouissances, nous les croyons fécondes en plaisirs esthétiques. « Voyez-vous », nous écrit à ce sujet M. Saint-Pol-Roux, le maximum d’art en littérature, ne peut être acquis que par un contingent relevant de tous les sens fédérés et finalement contrôlés par ce que je dénommai jadis le « Vatican des sensations », c’est-à-dire, l’esprit. — Oui, la grappe des sens écrasée au pressoir de l’esprit, et voici réalisé le vin de l’expression forte… L’art est devenu complet, synthétique, symphonique. »

Ayant uni nos sensations nous pouvons en élargir le champ. Car dans l’échelle infinie des mouvements vibratoires, quelques modalités seulement sont matière, encore, à joie des sens. Nous pouvons les étendre, ne plus nous contenter des sept couleurs du spectre[49], des sept degrés du diatonisme… Nous avons forcé les rayons ultra-violets à se déceler, assoupli d’accidents les gammes archaïques. Allons au delà. Nous baignons en une mer d’ondulations inconnues dont chaque rythme, chaque période est peut-être élément artistique, « source latente de jouissances. Surprenons-les, violons la nature, s’il le faut, c’est notre droit[50] ».

Ainsi, à l’entour du Sphinx impassible voletait, avide et curieuse, la Chimère :

Je cherche des parfums nouveaux, des fleurs plus larges et des plaisirs inéprouvés[51].

Mais le Sphinx, longtemps, restait impénétrable, immobile et muet.

VICTOR SÉGALEN.

1 Le terme est dû à Millet. Il équivaut à l’expression de « Sensations associées ». L’Audition colorée en est un cas particulier.

2 Dr Louis Destouches : La Musique et quelques-uns de ses effets sensoriels. Thèses, Paris, 1898.

3 J. Combarieu : Les Rapports de la musique et de la poésie au point de vue de l’expression, 1893

4 Lire de droite à gauche : Iod-Hé-Vau-Hè. IEVE et non IAVE. Mais toute traduction littérale est inexacte, car la Phonétique de l’hébreu ne comporte en réalité pas de voyelles, mais des « aspirations ».

5 L’Initiation, août 1901 : « Son, lumière, couleur dans l’astral ».

6 Annales d’oculistique. Dr Dujardin, de Lille. Janvier 1898.

7 Destouches : op. cit., pp. 16, 17, 18.

8 J.-K. Hüysmans : À Rebours, p. 63.

9 Aug. Lemaître : Audition colorée et phénomènes connexes observés chez les écoliers. In Rev. scientifique, 16 février 1901.

10 Destouches, op. cit.

11 Inutile d’insister sur l’impossibilité pour notre machine à penser d’atteindre pratiquement ce stade théorique. L’abstraction s’entache toujours de quelque motion des sens. Il nous souvient d’un vieux religieux dont le cerveau, nourri de scolastique, était, affirmait-il, suffisamment entraîné vers l’Idée pure, en particulier vers l’Abstraction Trinitaire, pour l’idéer sans figures, la concevoir sans symboles. Hélas ! en un jour de plus minutieuse analyse, le bon théologien s’avoua que le mystère de Trinité, il le voyait couleur violette : la sensation avait repris ses droits.

Ainsi pour la Morale. Toujours « l’Idée pure est plus ou moins contaminée par des intérêts personnels, ou de caste, ou de groupe, et le mot « justice » revêt ainsi, par exemple, toutes sortes de significations particulières et limitées sous lesquelles disparaît, écrasé, son sens suprême. »

(R. de Gourmont : les Mots et les Idées. Mercure de janvier 1900, pp. 23-24.)

12 – Rimbaud avait, à 18 ans, publié le Bateau Ivre. À 20 ans, les Illuminations. V. Hugo avait dit « c’est Shakespeare enfant ».

Puis brusquement, le poète en lui disparut devant l’explorateur. À travers l’Éthiopie, un écho lui parvint du bruit de ses œuvres : il n’en prit cure, et, consciemment, abdiqua toute royauté littéraire.

13 – G. Kahn, Revue Bleue, 10 août 1901.

14 Destouches : op. cit., pp. 8-10.

15 L. Favre : Musique des couleurs.

16 Le vocable allemand signifiant « timbre » est précisément « Klangfarbe », c’est-à-dire couleur du son.

17 Alfred Binet : Le Problème de l’audition colorée. Revue des Deux-Mondes, 1892, 1er octobre.

18 Ibid.

19 Les Reposoirs de la Procession.

20 – « Voici la Ville de Marseille, aux environs de laquelle je naquis, et dont, après plus de vingt ans d’absence partielle, j’épands toujours la semence d’or vif en mes filons d’encre, car cet art, que d’aucuns, pâles, me reprochent, n’est, en somme, qu’une apothéose de joies naturelles et d’énergies humaines. » (Les Reposoirs de la Procession.)

21 La Dame à la Faulx.

22 Les Reposoirs de la Procession : Roscanvel

23 – « J’étais alors dans ma seizième année, dit Wagner… Pendant le jour, en un demi-sommeil, j’avais des visions, dans lesquelles la Fondamentale, la Tierce, la Quinte m’apparaissaient en personnes, et me dévoilaient leur importante signification. » Souvenirs, traduction C. Benoit p. 10.

24 Destouches, op. cit. p. 4.

25 Engel : Stumpf, cité par Destouches, ibid.

26 En Route. Stock, 1899, pp. 5-15.

27 Lakmé, acte III.

28 « Le mot, dit Remy de Gourmont, a encore une forme déterminée par les consonnes : un parfum, mais difficilement perçu, vu l’infirmité de nos sens imaginatifs. »

29 La Rose et les épines du chemin. « Idéoplastie ».

30 J.-K. Huysmans : À Rebours. Charpentier, 1899, p. 64.

31 La Rose et les épines du chemin : l’Œil goinfre, p. 209.

32 Dr Le Dantec, professeur à l’école de Santé navale de Bordeaux. Archives de Médecine navale, 1893, p. 95.

33 Remy de Gourmont : Oraisons Mauvaises.

34 Intern. congress of. Psychol., 1892, cité par Destouches, op. cit.

35 Destouches, op. cit., p. 56.

36 Nous devons à ce sujet remerciement à nos délicats poètes et amis George Varenne et Pierre Richard pour l’application musicale, qu’ils nous rendirent aisée, de ces théories, en y conformant les rythmes et les sonorités de leurs « Chansons colorées ».

37 Au fond, ce ne sont pas là propriétés spéciales audit mollusque. Le premier amibe venu peut en témoigner. La Pholade est surtout connue des zoologistes par de plus curieuses propriétés : celle, entre autres, d’émettre de la lumière par l’action réciproque de deux ferments.

38 Max Nordeau : Dégénerescence, tome I. Les Symbolistes, pp. 245 à 255.

39 M. Nordau, op. cit., tome II, p. 430

40 Ibid., tome I, pp. 245 à 255.

41 Journal des Praticiens, 1er mai 1897.

42 Destouches, op. cit., p. 16.

43 Arch. Med. Nav., 1893, p. 95.

44 Legrain, cité par Max Nordau, in Dégénérescence, t. I.

45 Destouches, op. cit., p. 26.

46 M. Nordau : Dégénérescence t. I. p. 313. Ainsi parlait Jéhovah « démiurge et souverain Seigneur » quand, après la chute, il donnait à Zachariel « prince des Dominations » (symbolisant ici sans doute le mécanisme fatal de l’Hérédité) mission de régir les formes créées : « que nulle ne sorte de sa matrice sans être conforme à ses générateurs. Tu maintiendras les espèces, et que l’une n’empiète pas sur l’autre. Veille sur les règnes, détruis la gelée primordiale mère commune de ce qui se meut et vit, de ce qui vit et ne se meut pas. Que la plante ne mange pas, que l’animal ne fleurisse pas, qu’il ne croisse pas au fond des mers d’inquiétantes gemmes, des animalités douteuses. Que tous les yeux soient doués de la vue, que chaque organe ait un rôle unique… Que les antennes qui écoutent ne soient pas de celles qui sentent, et si d’infimes bêtes élèvent des forêts sous les vagues océanes, que leur œuvre s’anéantisse, car je suis le créateur et rien n’aura ni l’essence ni la forme, qui ne sorte de mes mains… » Remy de Gourmont : Lilith. Ce fut le stade différentiel nécessaire, mais seulement aux débuts de l’évolution sensorielle.

47 Et plus encore en annamite ou en chinois (Dr Louis Laurent).

48 Max Muller.

49 Moreau (de Tours) commentant Millet.

50 Ibid.

51 Flaubert : La Tentation de Saint-Antoine.

Leave a Comment

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.