Psychologie, neurosciences
& sciences cognitives
En 1812 Georg Tobias Ludwig Sachs publie une thèse médicale sur l’albinisme, dans laquelle il déclare percevoir des voyelles colorées. La première étude empirique sur la synesthésie a été menée par Gustav Fechner, en 1871. Francis Galton a prolongé ces travaux dans les années 1880. Depuis la synesthésie est restée un sujet de curiosité scientifique, avec un net regain d’intérêt à partir des années 2000 à la fois dans les neurosciences, les sciences cognitives et la psychologie.
La raison d’être des synesthésies ainsi que leur origine font toujours débat. Différentes hypothèses existent aujourd’hui afin d’expliquer cette expérience particulière :
L’hypothèse génétique
Certains gènes seraient responsables de la transmission et du développement de la synesthésie.
L’hypothèse neuronale
Pour des raisons à préciser, les aires cérébrales des synesthètes seraient reliées par des réseaux de neurones spécifiques.
L’hypothèse d’apprentissage
Ce sont les interactions du sujet avec son monde, dans l’enfance, qui fixeraient les correspondances de sens.
Ces trois hypothèses ne sont pas nécessairement exclusives et pourraient se compléter pour comprendre l’ensemble du phénomène (pour aller plus loin lire la partie 3 « Origines de la synesthésie » de la thèse de Marie-Margeride Garnier, accessible en téléchargement en suivant ce lien).
En 2019 une nouvelle proposition a été faite pour comprendre la synesthésie : un phénomène de « résonance stochastique » serait à l’origine d’un traitement davantage multisensoriel des informations par le cerveau. Un « bruit neural » particulier activerait les aires cérébrales au-delà d’un certain seuil, ce qui générerait des synesthésies. Cette hypothèse aurait pour point fort de fournir un cadre unifié de compréhension des synesthésies et d’intégrer toute leur diversité (la plupart des études ne portent que sur les synesthésies graphèmes/couleurs ou chiffres/couleurs).
L’ouvrage Synesthésie et probabilité conditionnelle, propose une compréhension phylogénétique et adaptative de la synesthésie. La synesthésie témoignerait d’un mode de traitement de l’information sensoriel d’origine ancienne, potentiellement présent dans la filiation animale dont nous sommes issus, mais qui aurait été progressivement réprimé au sein de l’humanité. Le traitement de l’information par les fonctions dites supérieures de l’esprit (le langage et la capacité à énoncer des récits) aurait été favorisé au cours de l’évolution de l’humanité.
Issu de cette hypothèse évolutive, le concept d’heuresthésie décrit une forme d’intuition particulière : lorsque la synesthésie accompagne le processus de découverte et de création.
L’heuresthésie vient de la contraction du grec εὑρίσκω (eurisko) signifiant « je trouve » et de αίσθησιs (aisthesis) « la sensation ». Elle serait cette condition particulière qui, chez certains sujets, ferait travailler ensemble les capacités de mise en forme des éléments naturels perçus (sons, formes, couleurs, textures, mouvements, percepts bruts…), communs avec la filiation animale, avec les éléments culturels (langages, concepts élaborés et exclusifs…) qui font la singularité humaine. Ce travail commun des sens et de l’esprit favoriserait chez l’heuresthète l’acquisition d’une connaissance ou d’une compétence objectivable (pour en savoir plus, voir la page Heuresthésie).
Ne penserait-on pas que les voyelles existent pour le regard presque autant que pour l’oreille, et qu’elles peignent des couleurs ?
Victor Hugo