Portrait : Daniel Tammet, heuresthète ?
Daniel Tammet, bien qu’ayant lutté longtemps contre certains effets de l’autisme (il vit avec le syndrome d’Asperger), a su vaincre ses appréhensions de l’autre et du réel, mettre en valeur ses dons et surtout offrir, par ses livres et ses interventions publiques, un accès intime et privilégié à son monde intérieur et à son brillant cerveau. Il nous aide généreusement à comprendre son cheminement personnel, mais aussi son point de vue sur le monde, lui qui le voit d’une façon si originale.
Daniel Tammet est doué de synesthésie, particulièrement de synesthésie numérique mais aussi graphèmes –> formes/couleurs. Si ces types d’associations sensorielles sont parmi les plus fréquents et n’ont la plupart du temps pas d’influence notable sur la pensée, elle se sont développées chez lui en de multiples compétences dépassant l’entendement. Il est fasciné par les nombres, qui sont en lui des paysages infinis et esthétiques, qui le rassurent. Il sait retrouver par exemple, comme beaucoup de calculateurs prodiges d’ailleurs, à quel jour de la semaine correspond telle date du calendrier. Il est également parvenu à mémoriser 22 514 décimales du nombre Pi, qu’il a pu réciter en un peu plus de cinq heures. Pour parvenir à cet exploit, après un travail d’apprentissage aidé par sa synesthésie, il n’a eu qu’à se promener dans l’immense paysage dessiné par l’ensemble de ces si nombreuses décimales. « Pour moi, pi est quelque chose de très beau et d’unique, comme Mona Lisa ou une symphonie de Mozart. »
Dans un article du Monde daté du 5 août 2007, Jean-Pierre Langellier commente : « On a dit de Daniel qu’il est un « homme-ordinateur ». Pourtant, il ne « calcule » pas. Lorsqu’il multiplie deux nombres, il trouve la solution sans effort conscient : « Je vois le premier nombre à gauche, le second à droite, et une troisième forme apparaît. C’est le résultat. Je me contente de lire cette image mentale. Je n’ai pas besoin de réfléchir. » Il lui suffit de 28 secondes pour trouver le quotient de deux nombres, accompagné de 32 chiffres après la virgule. Faut-il préciser qu’il n’écrit jamais aucune opération ? »
« Ainsi, quand j’élève 37 à la puissance 5 (37 x 37 x 37 x 37 x 37 = 69 343 957), je vois un grand cercle, composé de petits cercles qui tournent dans le sens des aiguilles d’une montre, depuis son sommet. Quand je divise un nombre par un autre, je vois une spirale qui s’élargit vers le bas en cercles toujours plus concentriques et déformés. Chaque division produit des spirales de tailles et de formes différentes. »
La particularité de la mémoire de Daniel Tammet, comme il l’explique dans son livre Embrasser le ciel immense, chapitre 3, est qu’elle est faite d’un « tissage unique ». Il associe systématiquement, certainement de façon comparable à Veniamin d’ailleurs, chaque nouvelle donnée à un ensemble d’autres (L. Mottron parle de « cartographie véridique », voir ce lien). Il est embarrassé pour retenir spontanément des informations s’il ne peut pas les intégrer à la matrice de souvenirs ou de connaissances qui préexiste en lui. Cette description qu’il fait du fonctionnement de ses apprentissages et de sa mémoire rejoint les hypothèses que nous avons posées : les fonctions mentales de Daniel Tammet sont comme « coordonnées » par une logique intrinsèque à la nature des choses. Sa synesthésie, les immenses tableaux faits de myriades d’images, de formes et d’affects associés sont le témoignage de l’harmonie et de l’unicité du monde et il peut, en s’appuyant sur cette matrice, opérer des calculs mentaux étonnants en obtenant des résultats justes, reconstruire en lui très rapidement les interrelations naturelles entre les mots d’une langue et ainsi l’apprendre en quelques jours, connaître le nombre Pi dans des dimensions de pensée qui dépassent la raison.
Il dit lui-même, page 183 d’Embrasser le ciel immense, alors qu’il étudie la question de la créativité artistique : « (…) l’avant-gardisme prend souvent sa source dans l’hyperconnectivité de certains cerveaux, et rend plus compréhensible l’apparition soudaine d’idées particulièrement créatives. A l’inverse des machines, ces cerveaux ne suivent pas une réflexion étape par étape ; ils puisent leur inspiration dans une sorte de chaos merveilleux et déchaîné, qui extirpe les informations de partout dans l’esprit pour arriver à des résultats à nous couper le souffle. »
Daniel Tammet au Magazine de la santé, le 11/03/09 par Editionsdesarenes
Sources :
L’Éternité dans une heure, Daniel Tammet
Article Le Monde, 17 janvier 2013
Je suis né un jour bleu, Daniel Tammet
Embrasser le ciel immense, Daniel Tammet
Article de Laurent Mottron, La Recherche
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01/01/2013