Une intuition sensorielle
& fertile
La source des intuitions reste encore un mystère. L’histoire des sciences et des arts est cependant faite de nombreux témoignages de créateurs, découvreurs, pionniers dans leur domaine qui indiquent que leurs sens semblaient impliqués dans l’orientation de leurs idées, de leurs pensées. Des tensions physiologiques, des élans intérieurs, des images abstraites, des textures, des couleurs, parfois des architectures de formes très complexes auraient précédé la composition d’une symphonie, la découverte d’un nouveau modèle de physique, l’écriture d’une œuvre littéraire ou philosophique. Des formes de synesthésies pourraient parfois jouer un rôle dans la créativité.
L’heuristique, dont l’étymologie d’origine grecque désigne la connaissance, est le domaine scientifique qui s’intéresse à la découverte, au cheminement vers un résultat. Le radical « aisthesis », dont est dérivé le mot « esthétique », évoque le sensible et l’intelligence. L’heuresthésie, qui constitue une forme « d’esthétique de la découverte », désigne la rencontre entre la synesthésie et l’intuition créatrice.
L’heuresthésie désigne la possibilité d’accéder, par la perception et sans exercice d’un contrôle conscient ou volontaire, à une connaissance ou une compétence objectivable. Quand la synesthésie fertilise l’esprit.
Vincent Mignerot
L’heuresthésie qualifie une forme spécifique d’intuition, celle qui mène à des résultats qui sont partageables, appréciables, vérifiables par d’autres que ceux qui vivent l’intuition. Il s’agit d’explorer la possibilité que les capacités du corps à mettre spontanément en sens les informations qu’il perçoit puissent également participer à mettre en sens des éléments plus complexes des langages, de la pensée ou des arts.
Les synesthésies ne sont pas soumises au contrôle conscient. Elles montrent le monde sans en trahir le sens et sans tenir compte de l’intérêt subjectif de l’individu. Les synesthésies se déploient autour des normes des langages construits et se manifestent dans des espaces représentationnels plus ouverts, plus souples. Elles pourraient orienter le processus intuitif au-delà des préconçus ou des attentes du sujet, ce qui étendrait le champ des possibles. En appui sur les capacités du cerveau à effectuer des calculs probabilistes afin d’optimiser la compréhension du réel (voir la page Créativité), la synesthésie pourrait jouer un rôle discriminant dans le processus de découverte, guidant le sujet vers la production la plus solide, la plus pertinente, la plus belle possible.
Des témoignages précisent quels types d’intuition pourrait désigner l’heuresthésie :
Paul Lidoreau, décédé en 1964 était un calculateur prodige, capable de manipuler et retenir de très grands nombres et d’effectuer sur ceux-ci des opérations complexes, dont il trouve les résultats à la fois très rapidement et de façon sûre.
Paul Lidoreau semble suivre les indications visuelles fournies par des associations sensorielles de type synesthésique.
Tout ce que j’ai cru entrevoir, c’est qu’il s’agissait d’une sorte de disposition de type spatial où les nombres auraient été les éléments d’un réseau à liaisons multiples, et où réseaux et liaisons auraient permis une sorte de conscience immédiate de tous les rapports relatifs possibles.
Paul Lidoreau
L’heuresthésie a fait l’objet en 2016 d’une publication dans un ouvrage collectif coordonné par le groupe de recherche ESARS, Esthétique Art et Science du CNRS.
Pour aller plus loin :
Daniel Tammet est synesthète numérique → formes/couleurs/spatialité. Il perçoit également les graphèmes en couleurs et possède une mémoire hors norme. Voici un dessin de sa représentation des premières décimales du nombre Pi (voir image ci-contre).
Daniel Tammet, dans ses livres et ses nombreuses interviews, parvient à expliquer comment ses connaissances s’organisent selon un “tissage unique”, au cœur duquel ses savoirs sont spontanément interconnectés. Ses synesthésies semblent lui faciliter les calculs complexes (le calcul de 37 à la puissance 5 ne lui prend que quelques secondes) ainsi que l’apprentissage rapide des langues (il en maîtrise onze).
Pierre-Jean Vazel, entraîneur de sportifs de haut niveau est fasciné par les chiffres. Lorsqu’il fait appel à sa mémoire pour retrouver une statistique dont il a besoin pour optimiser un entraînement, voici ce qu’il ressent : “Si je me trompe de chiffre, c’est ma perception de l’image qui s’en trouve faussée. Ce n’est pas possible.” Dans un reportage pour France3, Pierre-Jean Vazel décrit comment ses synesthésies influencent sa vie, et comment elles accompagnent son travail d’entraîneur.
Les entités psychiques qui servent d’éléments à la pensée sont, dans mon cas, de type visuel et parfois musculaire.
Albert Einstein